Le Haricot US17
Les narrateurs sont rassemblés à 16 heures. Avec un peu de retard. Ils s’installent près du saule – loin à l’écart du reste des activités – avec trois cassettes à écouter, qui racontent des bribes d’une histoire vieille de cinq décennies, histoire qu’ils devront restituer sans enregistrement aux écoutants. Écoute, discussion, écriture.
La restitution aux écoutants n’a délibérément pas fait l’objet d’un enregistrement.
Dix-huit heures. Les écoutants sont rassemblés avec un peu de retard. Ils sont munis chacun d’un coussin. Ils franchissent la route et passent la barrière. Là on leur donne à chacun un masque qu’ils placent sur leurs yeux. Ainsi aveuglés ils sont menés tant bien que mal en file indienne, chacun tenant l’épaule de son prédécesseur, à travers champs. Ils arrivent près du saule où les attendent les conteurs et sont silencieusement regroupés et placés un à un, chacun assis sur son coussin. Certains des conteurs sont autour, d’autres répartis au milieu des écoutants. Ils ont leurs voix et des objets pour faire des bruits. La restitution commence. Bruits de fête, de bal, rires et verres qui trinquent. Des conteurs circulent au milieu des écoutants, se baissent et murmurent quelques mots à leurs oreilles. Une voix s’élève et dit d’une sœur, Solange, morte si jeune. Les personnages de l’histoire se dessinent, deux femmes, Solange donc et Françoise, des bribes de messages, de journal, l’intrigue se tisse. Une histoire d’amour, un autre bal, une absence redoutée, un viol enfin, ce cri. Un grand cri poussé par l’une des conteuses. L’une des écoutantes se recroqueville sur elle-même. Tension palpable. Qui contraste avec le paysage environnant si calme et doux. Je m’imagine ce que ressentent les écoutants privés de la vue. La tragédie se précipite, et la fin, cette mort annoncée, la révolte, les slogans de manif, féminisme, contraception, droit à l’avortement avant le glas d’un enterrement ravivé dans la mémoire. Silence.
Les écoutants retirent leurs masques.
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